Pour l'Amour d'un Enfant / Juste un pas à faire

Je pleurais. Mes larmes s’écoulent comme un torrent. Au secours ! Je cherche un soutien, une présence. Mais personne ne vient. Personne...
Je pourrais remplir les pages d’un roman avec ce flot d’émotions qui m’entraînent vers le fond: la tristesse, la déception, l’impression d’avoir été trahie ou abandonnée...
J’ai l’impression que ma vie s’est arrêtée. Mes larmes ne suffisent plus. Mon cœur saigne d’une grande déchirure. Et je suis seule...


J’ai seize ans, et j’habite en Basse-Normandie.
Je rentrais d’une fête. Une fête chez Benjamin, mon petit-ami, mon amant... j’ai passé une nuit de rêve avec lui, dans ses bras...
Mais voilà: je n’ai pas pris la pilule comme il le fallait, et me voilà enceinte. A peine trois semaines après, je ressors du cabinet de ma gynécologue, avec ma meilleure amie, Émilie. Le test de grossesse s’avère positif.
Encore sous le choc, je me réveille, la nuit suivante, les yeux écarquillés, ma main posé sur mon ventre. Je ne devine pas encore grand-chose, mais une présence humaine grandit là...
Mes parents ont été mis au courant par la mère d'Émilie. Mon père ne comprend pas, il ne m’adresse plus la parole. Ma mère, elle, pleure presque autant que moi et n’a pas trouvé le courage de me parler.
Je me retrouve seule, enfermée sur moi-même, avec le poids d’un lourd secret.
Ce sont les vacances de Toussaint. Je ne sais pas ce que je vais faire après. Je ne veux pas me faire avorter, je ne sais pas quoi faire. Le garder, le faire adopter ?
J’ai peur. Peur de l’annoncer à Benjamin, de le voir déçu, désemparé... j’ai peur qu’il me laisse...

Le lendemain, vers vingt-et-une heures, il m’envoie un SMS. Il va passer chez moi. Mes parents restent tard à la pizzeria, ils ont du travail. Je suis seule. Et Benjamin ne sait rien, encore...
Le bruit que fait le moteur de son scooter m’alerte. Je sors, en débardeur, les yeux rouges et la peur au ventre. Je le vois, il sourit. Son sourire... ce sourire si familier, innocent et charmeur... J’aimerais qu’il ne s’efface jamais, et pourtant, malgré tout l’amour que j’ai pour lui, c’est moi qui vais le lui arracher...
Il m’embrasse. Il me regarde dans les yeux, et s'aperçoit que j’ai pleuré.

- Qu’est-ce qu’il y a ?

J’essaye alors, je tente de lui expliquer:

- Benji, je...

Ma gorge se serre. Les larmes me montent aux yeux. Je me jette alors dans ses bras. Je pleure, sans m’arrêter. Je lui explique tout, je sanglote... j’ai un enfant, là... C’est le tien !
Il me regarde. Il ne dit rien.

- Ne me laisse pas, j’ai besoin de toi...

Ses yeux affichent sa tristesse et sa peur. Son sourire a disparu. Il m’embrasse une dernière fois, et recule.

- Oublie moi. Je ne peux pas rester avec toi. Je n’ai pas de place pour un enfant dans ma vie... il vaut mieux pour nous deux en rester là. Fais ce que tu veux de l’enfant.
- T'as pas le droit de me laisser !
- Oublie-moi...

Il s’en va, seul dans la nuit. Je fonds en larmes.

- Pardon Benjamin ! S'il te plait, je suis désolée...


Il démarre, je pleure. Il s’en va sans se retourner. Je m’effondre, à genoux, dans la pelouse humide. Je pleure, je crie son prénom. Benjamin...
Je me laisse tomber, allongée, dans l’herbe. Quelques gouttes commencent à tomber, se mêlant à mes larmes. Je t'en prie, ne me laisse pas...

Un jour passe, deux, trois.
Le quatrième soir, je suis seule, tout comme chaque soir. Il est vingt-deux heures trente. Je regarde seule la télé.
Soudain, un bruit familier vient troubler le silence de la campagne. Le scooter...
Je n’arrive pas à y croire. Une ombre passe alors devant la fenêtre du salon.
Benjamin !
Mon cœur bondit. Je cours vers la porte. Dehors il fait froid, mais ça n’a pas d’importance. Je me jette dans ses bras. Il m’enlace et m’embrasse.

- Pardon... je suis désolé, j’ai été vraiment trop stupide... excuse-moi, Sacha.
- Chut...


Il est resté jusqu’à minuit. On gardera l’enfant et on l’élèvera. Ensemble. Je suis heureuse, un point c’est tout.
Après son départ, je me suis endormie. Il m’a laissé sa gourmette. Benji+Sacha, c’est ce qu’il y a écrit dessus.

C’est un coup de téléphone, donné vers quatre heures du matin, qui me réveille en sursaut. Je décroche:

- Oui ?
- Sacha ? C’est Marianne, la mère de Benjamin... il n’est pas avec toi ?
- Non ! Il est parti vers minuit, en scooter... il n'est pas rentré ?

Ma voix s’étrangle. Une peur indescriptible me prend. Mes parents sont levés, réveillés par la sonnerie. Je mets le haut-parleur.

- Oh non, c’est pas vrai, mais qu’est-ce qu’il peut bien faire ? s’énerve Marianne.

Sa voix tremble.

Je m’habille rapidement, la gourmette à mon poignet. Mon père est déjà au volant de la voiture, je m’installe à côté de lui. Ma mère reste à la maison.
On roule. On cherche sur la route, une trace, un signe de Benjamin, à la lueur des phares.
Soudain, j'aperçois, sur le bas-côté, une voiture rouge au pare-brise brisé, l’avant de l’auto défoncé par un arbre. Quelques mètre à côté, il y a un scooter, et une forme sombre étendue juste à côté.
Mon père freine, je sors à toute vitesse, les larmes aux yeux, le cœur battant à tout rompre. Mes larmes m’étouffent, je sanglote en me précipitant vers lui...

- Benjamin !

C’est lui. Mes sanglots redoublent. J’attrape son poignet, son cœur bat toujours. Mon père arrive et murmure quelque chose d’incompréhensible. Il sort son portable, tandis que je tiens la main de Benjamin serré dans les miennes. La visière de son casque est ouverte et me laisse voir la pâleur de son visage. Il saigne tellement... je pleure, j’embrasse sa main.

- Benjamin... s’il te plaît, ne me laisse pas... j’ai besoin de toi, je t’aime !

A ces mots, il tressaille. Sa mâchoire esquisse un mouvement, ses paupière s’entrouvrent.

- Sacha...

Mes larmes coulent.

- Sacha, répète mon père, les pompiers arrivent. Il... il est conscient ?

Je hoche la tête. Mes yeux me brûlent. Benjamin essaye d’ouvrir la bouche, de bouger la tête... Il me regarda, et murmura, dans un souffle à peine audible:

- Je t’aime...

Il ferma les yeux. Mes larmes redoublèrent, j’essayais de le réveiller. S’ensuivirent mes cris, mes plaintes: Benjamin...
Les pompiers arrivèrent. Mon père m’emmena un peu plus loin: je n’avais pas le droit de rester avec lui. J’aurais gêné les mouvements.
Le camion des pompiers repartit rapidement, la sirène hurlant deux notes qui m’écorchaient les oreilles. Benjamin...

Mon père me conduisit à l’hôpital. Après plusieurs interminables heures d’attente, je fus autorisée à voir Benjamin.
Il était entubé partout, et était sous masque respiratoire. Une grosse machine vrombissait, lui envoyant l’air vital. Son visage si pâle contrastait avec le rouge encore vif de ses égratignures.
Le voir là, gisant entre la vie et la mort, si vulnérable, me fit éclater en larmes. Benjamin... ça ne pouvait pas lui arriver à lui, il était si solide, si fort...
J’ai pris sa main. Mes larmes coulaient le long de mon cou. J’ai murmuré:

- Moi aussi, je t’aime...


Il est mort deux semaines plus tard. Il avait été fauché par un homme ivre déboulant au carrefour. Il succomba à un traumatisme crânien.

Je pleure. Mes larmes s’écoulent comme un torrent. Au secours ! Je cherche un soutien, une présence. Mais personne ne vient. Personne...
Je pourrais remplir les pages d’un roman avec ce flot d’émotions qui m’entraînent vers le fond: la tristesse, la déception, l’impression d’avoir été trahie ou abandonnée...
J’ai l’impression que ma vie s’est arrêtée. Mes larmes ne suffisent plus. Mon cœur saigne d’une grande déchirure. Et je suis seule...

Je t’aime, Benjamin. Pour toujours.


Sacha mit au monde un petit garçon, le 29 mai de l’année qui suivit. Elle le prénomma Benjamin.