Lettre à un père...

Tu dois surement être très surpris par cette lettre et tu te demandes sans nul doute la raison de sa rédaction, mais n'est-ce pas dans la logique des choses ? En effet, il est normal que tu sois au courant de ce que maman et moi avons enduré en ton absence. Il faut que tu sache tout, dans les moindres détails, bien entendu, sinon cela serait bien discourtois de ma part d'omettre le plus intéressant n'est-ce pas ?
Après que tu aies fermé la porte derrière ton adorable pétasse siliconée et toi, la vie n'a plus été la même. Maman pleurait nuit et jour, hurlant ton prénom dans ses songes. Elle ne sortait plus, préférant se laisser dépérir et dévorer par les souvenirs de votre vie passée. Comme tu t'en doutes, à force de ne plus se nourrir, elle sombra vite dans l'anorexie, mais ça, ce n'était que le début.

Je l'entendais souvent en passant devant la chambre d'ami, –elle s'y était installée car votre chambre respirait ton odeur, lui rappelant ces nuits sans sommeil durant lesquelles vous exprimiez physiquement votre amour- se demander ce qu'elle avait bien pu faire de répréhensible pour que tu décides de tout plaquer pour cette fausse blonde aussi vulgaire que les putains qui usaient le macadam de la rue adjacente à celle de ta société. Tiens, ne l'aurais-tu pas, par le plus grand des hasards ramassée là-bas ? Ce n'est qu'une question innocente qui j'espère ne t'a pas vexé, cher papounet.
Revenons à nos moutons.

Tu sais, maman n'arrêtait pas de s'interroger sur la manière dont elle aurait dû procéder pour que tu veuilles bien nous faire l'immense honneur de demeurer à nos côtés, ne cessant de s'accabler de reproches alors que tout était ta faute. J'avais beau n'avoir que douze ans à l'époque mais il ne me fut pas difficile de comprendre que tu avais rendu maman dépressive.
Tu sais ce qui était le plus dur à essuyer ? C'étaient les cris d'agonies qu'elle poussait toutes les nuits, l'entendre hurler la douloureuse perforation de son organe aux battements si fugaces. Tout cela m'épouvantait au point que je dormais toujours avec mon baladeur pour me couper du monde, c'était mal connaitre ses cordes vocales.

Je me sentais horriblement impuissante. Peux-tu imaginer assister à l'autodestruction d'une personne que tu affectionnes à la limite de l'inimaginable, complètement désarmé ? Désarmée, oh oui je l'étais ! Maman ne sortait plus. Maman ne mangeait plus. Maman pleurait. Maman criait. Les reproches soumettaient maman à leurs fantaisies. Et moi, bah je regardais. Que pouvais-je faire d'autre ? Aucune solution pour distendre son mal ne m'était apparue. Je me devais, moi aussi, de subir leurs caprices.

Si tu savais à quel point je t'ai abhorré, ce qui est d'ailleurs d'actualité ! Je n'arrive franchement pas à digérer le fait que tu aies fait souffert cette personne que tu disais aimé, que tu l'aies détruite aussi violemment ! Comment as-tu pu ? Ces « je vous aime » n'était que mensonge ? Tout était faux ? J'ai ressassé ces questions toutes ces dix dernières années mais je n'y ai trouvé aucune réponse ou se peut-il que la lâche que je suis, n'aie pas trouvé le courage d'affronter cette dernière ?
Tu as si facilement fait une croix sur nous que, j'avoue, je me suis retrouvée désemparée, déconcertée, me nourrissant de haine pour dissimuler mes faiblesses à maman, elle n'avait pas besoin que je me retrouve dans le même état qu'elle, alors je jouais la carte de l'indifférence, pleurant secrètement chaque fois que j'en avais l'occasion. Toutes ces larmes versées, ces cris poussés ne me rendaient que plus haineuse à ton égard. Je t'ai maudit. Oh ça oui, je t'ai maudit ! Crachant sur ces années passées en ta compagnie avec hargne ! Je n'avais qu'une idée en tête, te détruire, te faire souffrir, te torturer comme tu l'as fait si aisément avec nous. Tu te souviens du dessin que Mme Catherine avait demandé de faire en primaire pour la fête des pères, où il y était inscrit, en gros, en gras et en rouge « je t'aime papa ! » agrémenté d'un petit cœur ? Eh bien il n'existe plus désormais. Je l'ai déchiré est un millier de petits morceaux, imaginant que c'était toi que je brisais.

Quelques mois après ton départ, maman est morte, suite logique aux derniers évènements. En rentrant du collège, je me suis précipitée dans cette chambre sombre et morne qui était devenue la sienne pour lui annoncer que j'avais été prise dans la pièce de l'école, en tant que Marie si cela t'intéresse un tant soit peu, mais elle n'y était pas. Ce qui n'était pas normal puisqu'elle préférait s'y cloîtrer, le dos contre un angle de la pièce à pleurer. J'ai parcouru la maison à sa recherche pour finalement la trouver baignant dans l'eau rouge de la baignoire, immobile, les poignets tailladés, yeux fermés et un sourire paisible au visage. J'aurais préféré qu'elle sourît de cette manière dans une autre circonstance mais l'on peut tout avoir dans la vie, n'es-tu pas d'accord ? Je n'ai ressenti ni tristesse, ni chagrin juste une haine incommensurable et je suis sure que tu devines sans peine qui en était le destinataire.
Avant de se suicider, elle avait eu la décence de rédiger un mot à mon adresse dont je vais d'ailleurs te donner un extrait très intéressant :

« Ma chérie, si tu lis ces lignes, cela veut dire que je ne suis plus. Je suppose que tu auras du mal à pardonner cet acte mais essaies de me comprendre. La vie sans ton père n'avait plus la même saveur. Je ne pouvais vivre sans lui, il était mon oxygène. Je suis désolée de l'avoir aimé aussi déraisonnablement mais je ne regrette en aucun cas, tu comprendras mes sentiments quand tu auras aimé. Il a peut-être brisé mon cœur, il l'a peut-être trituré mais je ne regrette rien. Cela m'est impossible... »

Tu as détruit maman. Assassin. Tu m'as pris la personne qui tenait un tant soit peu à moi. Assassin. Je l'aimais, tu sais. Assassin. Je l'aimais vraiment. Assassin. Tu nous as démolies, avec le sourire en plus. Assassin. Tu as réduit en poussière tout ce que vous avez mis du temps à construire. Assassin. Tu l'as tuée. Assassin. Tu m'as tuée, car oui je ne vis plus. Assassin. Alors fier de toi ? Heureux d'avoir tout foutu en l'air ?
Après une telle déclaration de haine, tu t'étonnes à coup sûr que je veuille te voir. En fait j'ai juste envie de contempler à satiété ce visage altier, que tu plastronnais autrefois avec arrogance, ravagé par le temps. Comment ce dernier s'est vu enlaidir par les années sans espoir de combat. Observer ces rides qui font ressembler ta face à de vieux pruneaux desséchés. Je reconnais qu'une autre raison constelle la précédente. Je veux rencontrer tes prunelles à travers la vitre encrassée du parloir, attraper lentement la tête du téléphone d'un bleu hideux et déverser tout ce que j'ai sur le cœur tout en te fixant dans les yeux. Je veux que tu aperçoives le ressentiment qui danse allègrement dans mon regard ; que tu le sentes s'insinuer furtivement en toi, te bouffer doucement avant de t'exploser en plein myocarde. Je veux que tu voies ce que je suis devenue à cause de toi, je veux doucereusement te raconter toutes les mésaventures qui m'ont conduite dans cette prison pour femme ; te raconter mon passage au foyer ensuite de maison d'accueil en maison d'accueil puis mon retour au foyer où j'en fus finalement expulsée ; Te raconter ma vie dans la rue, comment en plein mois de Janvier je me suis retrouvée à coucher sous les ponts n'ayant pour seul bagage une veste et ta photo pour éviter d'oublier la cause de tous mes malheurs.

Alors auras-tu les tripes de venir m'affronter ou l'enfoiré que tu as toujours été, s'affranchira une nouvelle fois de ses devoirs ? Je souhaite en tout cas que tu m'honoreras de ta délicieuse présence dont tu m'as dispensée ces dernières années, cher Assassin.

Celle qui fut autrefois ta fille.